Interview: Le Commissaire du Salon national du recrutement, Dr. Belkhiri, se confie à notre Kiosque
21 mins read

Interview: Le Commissaire du Salon national du recrutement, Dr. Belkhiri, se confie à notre Kiosque

En marge du Forum d’El Moudjahid où il a animé une conférence sur la 16ème édition Salon national du recrutement « Carrefour Emploi », organisé sous le slogan « La Digitalisation, un outil au service de la dynamique économique », et qui se tient du 26 au 28 janvier prochain au palais de la Culture, à Alger, le Commissaire du Salon, Ali Belkhiri, expert en Systèmes d’information et en sécurité, a accepté de répondre à toutes nos questions sans ambages pour évoquer l’évolution du marché de l’emploi, les tendances du moment, les méthodes de recrutement, la recherche de profils, le rôle des salons dans le recrutement et l’apport de la digitalisation sur l’économie.

Interview réalisée par :

Hamid. S et Farid. B

Le salon du recrutement « Carrefour emploi et formation » revient après une période marquée par la crise du Covid. Comment se présente cette 16ème édition ?

Conscients de l’importance de la ressource humaine et du rôle du recrutement et de la formation continue pour booster l’économie nationale et développer la compétitivité et la productivité de l’entreprise Algérienne, nous contribuons à cette mission en organisant une nouvelle édition des Salons « Carrefour Emploi » et « Carrefour Formation », qui se tiendront en simultané, sous le slogan « La Digitalisation, un outil au service de la dynamique économique ».

Pourquoi un salon du recrutement en Algérie et que pourrait constituer cet événement pour les visiteurs pour les décideurs, à commencer par les entreprises ?

Après deux années impactées par la crise mondiale du Covid, l’économie algérienne, comme partout ailleurs à travers la planète, est entrée dans un cycle de redressement confirmée par un taux de croissance de 4,7% en 2022, entrainant une nouvelle dynamique du marché de l’emploi en Algérie.

La mise en place d’une nouvelle politique d’investissement et le déblocage de nombreux projets économiques par les pouvoirs publics sont de nature à dynamiser le marché de l’emploi puisque les nouvelles entités économiques ont besoin d’une main d’œuvre qualifiée capable de les tirer vers le haut.

L’évènement, qui constitue un des incontournables des activités de recrutement, mobilité professionnelle, formation en entreprise et création de start-ups, jouit d’une grande popularité auprès des demandeurs d’emploi dont le nombre de visiteurs est en perpétuelle croissance, dépassant aux dernières éditions le chiffre de 20 000. Pour les entreprises, le Salon représente le lieu idéal pour trouver les compétences recherchées. C’est aussi un carrefour pour les opportunités d’affaires et une vitrine pour faire mieux connaitre ses activités.

Pour les écoles et organismes de formation, c’est l’un des meilleurs canaux de marketing pour faire la promotion des formations dispensées, booster les inscriptions et développer des partenariats de formation avec les entreprises.

Pour les demandeurs d’emploi et les diplômés, c’est une opportunité pour décrocher un job, un stage ou une formation diplômante ou qualifiante, et pour approfondir leurs connaissances sur les entreprises et les écoles présentes, les métiers et les carrières. Pour les porteurs de projets de création d’entreprises, ce sera aussi l’endroit idéal pour trouver des partenaires ou des financements et échanger des idées.

Les deux salons, celui du recrutement et celui de la formation, qui se tiennent conjointement dans des espaces mitoyens, se veulent être un carrefour de rencontres entre les entreprises et les administrations en quête de compétences et de nouvelles recrues, les écoles et les organismes de formation, ainsi que les institutions officielles des ministères du Travail et de la Formation professionnelle, d’une part, et les universitaires et cadres à la recherche d’un emploi, d’un stage ou d’informations pour créer leur entreprise.

Les entreprises et les organismes de formations présents auront ainsi l’opportunité de conclure des accords de partenariat, de repérer leurs futurs cadres, ainsi que les candidats à la recherche d’une formation diplômante ou qualifiante.

Vous avez prévu un programme de conférences, d’ateliers et de tables-rondes. Pourrions-nous savoir un peu plus ?

Les deux salons s’étaleront sur trois jours et comprendront des conférences, ateliers et des tables-rondes dans le but d’expliciter les dispositifs, les règlements, la fiscalité, la politique de l’emploi, les carrières, les métiers, les programmes de formation, rédaction de CV, coaching, simulation d’entretiens d’embauche, bilan des compétences, etc.

Quid de l’engouement des entreprises pour ce salon ?

A quelques jours de la tenue du salon, le nombre des entreprises qui ont confirmé leur participation est en deçà de nos prévisions. Ces entreprises représentent surtout le secteur des TIC, l’industrie, les banques/assurances, l’industrie pharmaceutique, ainsi que le secteur des travaux publics.

La faiblesse de cette participation est probablement due au fait que le processus de sortie de crise du secteur économique n’a débuté que récemment et nous pensons que la reprise de l’activité économique va s’accélérer cette année avec le lancement des actions et des projets programmés dans la loi de finances 2023.

La digitalisation s’impose comme une thématique récurrente ces dernières années. Quelles sont les conditions de la réussite de la transformation numérique en Algérie et quel sera son impact sur le marché de l’emploi ?

En effet, ces dernières années, le processus d’informatisation et de digitalisation de la société s’est accéléré. L’économie numérique, basée sur les TIC, a transformé de nombreux secteurs de l’économie (commerce, industrie, banques, santé, logistique, transport, agriculture, éducation, culture, défense, etc.), modifiant les modèles économiques et organisationnels. Elle a aussi modifié et amélioré le fonctionnement de l’administration locale, ainsi que les comportements des citoyens et des consommateurs.

La pandémie du Covid-19 a aussi impacté, mais surtout accéléré la digitalisation de l’économie mondiale et sa transition vers l’économie numérique ou de la connaissance, avec ses nouveaux métiers et ses nouvelles méthodes management. Selon une récente étude du cabinet McKinsey, la crise sanitaire a accéléré la transformation digitale des entreprises d’environ 7 ans.

Pendant la crise de la Covid-19, les consommateurs ont massivement migré vers les canaux numériques pour effectuer leurs achats. Pour répondre à cette nouvelle demande, les entreprises ont dû digitaliser à toute vitesse leur offre de produits et services, et leur mode de distribution.

Comme dans le reste du monde, en Algérie, les mesures de lutte prises contre la propagation du coronavirus ont constitué un élément favorisant le processus de numérisation dans divers secteurs d’activité, ce qui a permis de résorber, au moins en partie, les retards accumulés dans ce domaine. En effet, de nouvelles formes de communication ont été adoptées depuis l’entrée en vigueur du confinement sanitaire, accélérant, de ce fait, la numérisation de l’administration et de plusieurs secteurs d’activité.

Le confinement a entrainé la généralisation du télétravail permettant aux entreprises et aux institutions de continuer à fonctionner malgré les restrictions sanitaires en vigueur partout dans le monde. Internet est devenu pratiquement le seul moyen de garder un lien entre individus et entreprises. Cette situation a également entrainé le recourt à la visioconférence avec les applications tels que Zoom, MsTeam, Webex, ainsi qu’à un usage intensif des réseaux sociaux (Facebook, WhatsApp, Viber, Skype, Telegraph, LinkedIn, …).

Depuis, les réunions institutionnelles et événements se déroulent pour la plupart à distance. Les webinaires ont remplacé les classiques et coûteux séminaires et conférences, de même que les commerces en ligne ont connu un véritable boom.

Le Covid-19 a été également un facteur pour introduire, par exemple, le téléenseignement au niveau des universités, les consultations médicales via des plateformes de télémédecine, le cartable électronique et l’école numérique, avec des émissions éducatives à la télévision, à la radio ou en ligne.

Un autre pas a été franchi dans le processus de numérisation des documents administratifs et dans la lutte contre la bureaucratie en Algérie. Désormais, les documents de l’Etat civil peuvent être retirés via une plateforme numérique dédiée à cet effet, une première dans le pays.

Le télétravail, les visioconférences, le e-commerce, ont ainsi connu un essor difficilement envisageable avant la pandémie, la plupart des institutions et entreprises économiques n’y étant pas été préparées.

Dans ce contexte et pour relancer la machine économique, les opérateurs de téléphonie fixe et mobile ont initié une baisse des prix de la connexion à internet, de même qu’une réorganisation du spectre national des fréquences a été réalisée pour une meilleure utilisation des réseaux internet fixe et mobile. Des actions ont été également initiées pour le désenclavement numérique des zones en dehors des agglomérations et diminuer ainsi la fracture numérique dans le pays.

Quel est l’apport de la digitalisation sur l’économie ?

L’économie digitale a radicalement transformé les métiers. Si la crise sanitaire a mis à l’arrêt certains secteurs d’activité, d’autres ont vu leurs besoins exploser, à l’instar du e-commerce. Avec l’avènement de cette révolution numérique, de nombreux métiers ont disparu ou vont disparaitre.

D’autres vont évoluer avec l’informatisation des organisations, des structures de management et l’automatisation de nombreux processus de fabrication dans l’industrie et la motorisation de l’agriculture.

De nouveaux métiers apparaissent continuellement. Les innovations technologiques, en particulier numériques, créent de nouveaux métiers et de nombreux emplois dans ces secteurs nouveaux et très prometteurs. Les profils IT, déjà très courtisés, sont plus que jamais recherchés.

Avant la pandémie de la Covid-19, on notait déjà une pénurie de profils qualifiés pour répondre à des besoins significatifs en matière de maintenance informatique, de cybersécurité, de développement web… Depuis un an, la demande a bondi de 50% en moyenne, et tous les pays sont concernés.

La transformation digitale, qui touche tous les secteurs et qui a été accélérée par la crise, a boosté la demande de compétences en TIC, IA, data science, machine Learning. Parmi les débouchés et métiers à forte valeur ajoutée, on citera par exemple : web designer, web master, développeur, data analyst, traffic manager, cyber specialist, Community manager et installateur domotique.

De plus en plus d’entreprises et institutions (MDN, DGSN, Protection civile, Douanes, ENNA, …) sont à la recherche de compétences dans l’Intelligence Artificielle, la robotique, les objets connectés (IoT), le Big Data, la cybersécurité, le domaine des drones et le contrôle aérien. Nous ajouterons que l’ère du digital exige compétence, transparence et bonne gouvernance.

Le gouvernement mise beaucoup sur les start-ups pour booster le développement économique. Que faut-il faire pour rendre efficace une telle contribution ?

Le projet du gouvernement de miser sur le développement des start-ups afin de booster et d’accélérer le développement de l’économie et de l’emploi peut s’avérer une excellente idée s’il est soutenu par un écosystème favorable à la création et au soutien des start-up, à travers des mesures réglementaires, financières et pédagogiques qui sont nécessaires à son accomplissement, avec en particulier la révision des codes du commerce et du e-commerce, la simplification des procédures de création d’entreprises, l’augmentation du nombre d’incubateurs, en particulier au sein de l’Université et leur généralisation à toutes les wilayas.

L’objectif étant de faire des start-up la locomotive de la transition de l’économie algérienne d’un système rentier basé sur les hydrocarbures à un modèle reposant sur d’autres secteurs productifs et une économie de la connaissance.

Actuellement le projet qui a été lancé récemment est en bonne voie, avec la création de plusieurs organes spécialisés, comme un ministère des start-ups, un accélérateur public Algeria Venture, qui aide les porteurs de projet à « dimensionner », lever des fonds et exporter leurs solutions et un fonds public dédié aux start-up, l’Algerian Startup Fund (ASF), société publique de capital-risque dotée d’un budget de 411 millions de dollars, ainsi que la mise en place d’un cadre réglementaire et d’une législation favorisant l’entrepreneuriat,

Comment évaluez-vous le marché de l’emploi en Algérie, vous qui êtes commissaire du Salon du recrutement « Carrefour Emploi » depuis 2009 ?

 Durant les trois dernières années, l’Algérie a été confrontée à différentes crises internes et externes qui ont touché la majorité des pays du globe. Cela concerne l’épidémie du coronavirus, l’instabilité politique interne qui a suivi la destitution de l’ancien Président Bouteflika, la guerre Ukraine-Russie qui a permis l’augmentation des recettes des hydrocarbures mais aussi le gonflement des prix de nombreux produits alimentaires de base importés.

La fin de l’épidémie du Covid 19 et de la crise politique interne a permis à partir de 2022 de relancer l’activité économique qui, selon les prévisions du FMI, connait un taux de croissance de 4,7%, entrainant une nouvelle dynamique du marché de l’emploi en Algérie.

Ce dernier enregistre un rebond au 1er trimestre 2022 avec une hausse du nombre d’offres d’emploi mais aussi de candidats prêts à saisir de nouvelles opportunités. Dans la loi de finances 2023, le gouvernement a annoncé la création de près de 60 000 nouveaux postes de travail en 2023 au niveau de la fonction publique.

Cette dynamique touche plusieurs secteurs employeurs comme la santé, l’éducation nationale, l’enseignement supérieur, la formation professionnelle, la jeunesse et les sports, les finances, l’intérieur et la justice.

Le redressement de l’économie nationale est confirmé par le dernier numéro du Rapport de suivi de la situation économique en Algérie, publié par la Banque mondiale, qui déclare que « l’économie algérienne a poursuivi son redressement au cours du premier semestre 2022, à la faveur du retour de la production pétrolière à ses niveaux d’avant la pandémie et de la reprise constante de l’industrie, du secteur des services, conjugués à une activité agricole plus vigoureuse.

Ce redressement devrait se poursuivre en 2023, soutenu par le secteur hors hydrocarbures et la croissance des dépenses publiques ». Le rapport ajoute que les réformes structurelles décrites dans le plan d’action du gouvernement, qui visent à promouvoir l’investissement du secteur privé, seront essentielles pour créer des emplois. D’où la nécessité, à moyen et long terme, de faire du secteur privé hors hydrocarbures le moteur de la croissance et de la diversification de l’économie.

La poursuite de la mise en œuvre des programmes nationaux de réforme structurelle, l’ouverture accrue au secteur privé, l’amélioration de la compétitivité de l’économie et le renforcement de l’investissement dans le capital humain sont autant de facteurs essentiels à la vitalité et à la résilience économiques de l’Algérie

Le développement du pays doit aussi reposer sur la bonne gouvernance, la valorisation du savoir ainsi que conciliation de l’efficacité économique avec la nécessaire cohésion sociale.

Selon le FMI, le marché de l’emploi doit absorber un flux additionnel de demande d’emplois de 350 000 à 400 000 qui s’ajoute au taux de chômage estimé par le FMI à environ 14%, incluant les sureffectifs dans les entreprises publiques, administrations, les emplois improductifs et l’emploi dans la sphère informelle. La sphère informelle représente 30 à 40% du total.

Selon des informations et des données récupérées sur des sites spécialisés sur le net, les perspectives de recrutement pour 2023 pour le secteur économique public et privé sont positives et de nombreuses entreprises ont déclaré envisager de former leurs employés et d’accroître leurs effectifs pour répondre aux nouveaux besoins du marché.

Du coté des candidats face au marché de l’emploi, la situation semble aussi évoluer, ceux-ci préférant la sécurité de l’emploi occupé plutôt que l’aventure d’un nouvel emploi et le risque d’une période d’essai. En effet, si on regarde les types de profils ciblés par les entreprises en 2022, la grande majorité s’orientait vers les profils expérimentés. Ces derniers ne nécessitant pas une grande période d’intégration et de formation, ils peuvent être opérationnels rapidement et participer au pilotage de l’activité de l’entreprise et répondre aux défis de croissance.

Récemment, le gouvernement a débloqué de nombreux projets qui étaient gelés ou bloqués et la Loi de Finances 2023 prévoit également le lancement de plusieurs nouveaux grands projets nationaux. Leur réalisation imposera l’implication des entreprises nationales publiques et privées. Pour le lancement de tous ces projets, ces entreprises seront obligées de recourir à la formation et à la mise à niveau de leurs ressources humaines pour se substituer à l’importation et aux entreprises étrangères.

Les salons du recrutement ne sont pas légions en Algérie. Quelles sont les raisons de ce déficit ?

Effectivement, les salons du recrutement ne sont pas très nombreux en Algérie, a contrario de ce qui se passe dans les pays développés comme les USA ou la France à titre d’exemple, où des dizaines de ce type de salons sont organisées annuellement, avec des salons nationaux, régionaux ou spécialisés par métiers.

Ces manifestations qui regroupent habituellement des dizaines, voire des centaines d’entreprises, sont le lieu privilégié pour les entreprises et les institutions publiques pour proposer des emplois et recruter les compétences et ressources humaines nécessaires à leur développement.

Ces manifestations viennent compléter l’action des autres canaux de recrutement : formation en interne, sous-traitance avec des cabinets de recrutement spécialisés, annonces dans les médias, … Ces salons sont également un des moyens privilégiés pour faire connaitre les organismes, les lois et règlements qui régissent le secteur de l’emploi, ainsi que l’évolution des métiers et des carrières dans les différents secteurs économiques.

Malheureusement, dans notre pays on constate que ces Salons ne sont pas suffisamment soutenus par les pouvoirs publics, les entreprises privées et les sponsors, qui n’accordent pas assez d’importance à ce genre d’événements. C’est un problème de culture.

Il faut que l’Etat se démarque de sa position où il doit tout faire et fasse appel au privé pour participer au développement de l’économie et de la société sous tous ses aspects. Il faut aussi que les entreprises publiques et privées soient des entreprises citoyennes et adoptent plus d’ouverture et de transparence dans leurs méthodes de recrutement en participant aux salons de recrutement.

H.S et F.B

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *